# Hans-Hermann Hoppe


L'école autrichienne #




L'école autrichienne
et son importance
pour la science économique moderne
1*.
par Hans-Hermann Hoppe°

L

'histoire externe2** de l'Ecole autrichienne est rapide à raconter. Celle-ci commence avec Carl Menger (1840-1924) et ses Principes de l'économie politique. [Grundsätze der Volkswirtschaftslehre] parus en 1871. Cet ouvrage faisait de Menger en même temps que William Stanley Jevons et Léon Walras mais indépendamment d'eux le fondateur de la théorie moderne, "subjectiviste", de la valeur. C'est Menger qui, comme disait Joseph Schumpeter, est le démolisseur de David Ricardo et du système ricardien3. Alors que l'économie politique britannique classique d'Adam Smith à John Stuart Mill en passant par Ricardo et Karl Marx avait toujours vainement cherché à expliquer la valeur des biens et leurs prix par des grandeurs "objectives" telles que l'effort de travail et/ou les coûts de production, Menger opéra une révolution copernicienne en démontrant que bien au contraire ce sont l'effort de travail et les coûts de production qui sont déterminés par les valeurs et les prix anticipés, et qu'un principe unique celui de la valeur subjective à la marge [la valeur perçue des objets de l'action à l'occasion de celle-ci] peut expliquer l'ensemble des phénomènes économiques : la rareté, la production, l'échange, la monnaie et l'intérêt4. L'école autrichienne atteignit son deuxième sommet avec Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914), disciple le plus important de Menger, et son Kapital und Kapitalzins [Capital et intérêt] paru en 1884. Böhm-Bawerk compléta l'oeuvre de Menger dans les domaines de la théorie de l'intérêt et du capital, pour l'étendre jusqu'à une théorie systématique de l'économie capitaliste. Puis lui succéda son plus brillant disciple, Ludwig von Mises (1881-1973). La position prépondérante de Mises au sein de l'école autrichienne repose sur quatre oeuvres maîtresses : la Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel de 1912 [Théorie de la monnaie et du crédit5*], Die Gemeinwirtschaft, Untersuchungen über den Sozialismus de 1922 [Le Socialisme (1952)6**], Human Action, A Treatise on Economics publié en 1949 [L'Action Humaine (1985)] et Theory and History. An Interpretation of Social and Economic Evolution paru en 19577***. Avec ces travaux, Mises élargissait le système de Menger et Böhm-Bawerk à la théorie monétaire et conjoncturelle pour en faire une théorie de toutes les formes pensables de la coopération sociale. En outre, s'appuyant sur les Recherches sur la méthode des Sciences sociales et de l'économie politique (1883) [Untersuchungen über die Methode der Sozialwissenschaften und der politischen Ökonomie insbesondere8****] de Menger, Mises était parvenu à élucider les fondements philosophiques et épistémologiques de la théorie de la valeur "subjective" ainsi que de l'économie politique, et à reformuler les énoncés de la théorie économique comme ceux d'une "logique de l'action" a priori, axiomatique-déductive (la praxéologie) et, partant de là, à proposer une représentation systématiquement complète du corpus des sciences sociales théoriques qu'il était possible de reconstruire sur la base de la praxéologie. Et enfin, le théâtre des opérations s'étant déplacé de Vienne, de l'Autriche et de l'Europe vers New York et les Etats-Unis à la suite de l'émigration de Mises en 1940 aux Etats-Unis, apparut le plus grand des disciples de Mises, Murray N. Rothbard (1926-1995, avec son Man, Economy, and State en 1962, The Ethics of Liberty en 1982 [L'Ethique de la liberté (1991)], puis Economic Thought Before Adam Smith et Classical Economics en 1995. Dans ces ouvrages, Rothbard nettoyait les incohérences restant dans le système misésien, en matière de théorie du monopole et de théorie de l'Etat (la production de la sécurité). Il associait l'économie autrichienne (la praxéologie) et la théorie du droit naturel (l'éthique) dans une théorie générale (libertarienne) de la liberté humaine. Il projetait et esquissait aussi le programme d'une historiographie "révisionniste", éclairée par l'économie et la philosophie politiques.
Comme dans d'autres traditions intellectuelles, on trouve aussi dès le départ au sein de l'école autrichienne nombre de courants parallèles qui s'interpénètrent. Il y a d'abord Friedrich von Wieser puis ses élèves Hans Mayer et Friedrich von Hayek. Puis Joseph Schumpeter, élève de Böhm-Bawerk. Pendant la période d'activité de Mises, on trouve ses élèves Fritz Machlup, Gottfried von Haberler et Oskar Morgenstern. Enfin, à l'époque de Rothbard, l'école autrichienne s'étant dans l'intervalle transplantée aux Etats-Unis pour s'y développer sous le nom d'"Austrian Economics", on trouve à côté de Hayek son élève Ludwig Lachmann et celui de Mises9*, Israel Kirzner. Cette diversité de l'offre sous la marque des Austrian Economics, et en particulier le fait qu'après l'attribution du prix Nobel d'économie à Hayek pour 1974, le nom de ce dernier l'emporta en popularité sur celui des autres autrichiens y compris Mises, à tel point qu'il était devenu synonyme d'"école autrichienne", a conduit à une série d'erreurs de jugement et d'interprétation au sujet de cette dernière, non seulement dans l'opinion publique au sens large mais aussi, particulièrement, dans les sciences économiques et sociales10.


II

Pour juger correctement l'école autrichienne quelle que soit la manière dont on apprécie la contribution particulière des représentants de cette école il est indispensable de comprendre les raisons historiques et intellectuelles11* qui fondent la différence entre une lignée fondamentale la lignée MengerBöhm-BawerkMisesRothbard et les diverses branches annexes Wieser, Schumpeter, Hayek, Kirzner et Lachmann. La raison ostensible tient à ce que cette différenciation-là correspond aux interprétations mêmes des personnes en cause. Böhm-Bawerk se considérait comme le successeur de Menger et Mises comme celui de Böhm-Bawerk et de Menger. Quant à Rothbard, il se voyait comme le continuateur de Mises et comme son élève. Plus encore, cette estimation personnelle de chacun des successeurs correspondait exactement avec l'appréciation correspondante faite par les prédécesseurs directs. Malgré une distanciation critique marquée, Menger reconnaissait Böhm-Bawerk comme le plus important de ses disciples. La même chose est valable pour Böhm-Bawerk vis-à-vis de Mises, et de même pour Mises en relation avec Rothbard. En revanche, malgré leurs rapports de maître à élève, et une appréciation réciproque non dissimulée, Böhm-Bawerk ne considérait nullement Schumpeter comme son successeur, pas plus que Schumpeter ne se voyait comme tel. Et de même, Mises ne reconnaissait pas Hayek comme son héritier intellectuel, Hayek ne se voyant pas non plus dans ce rôle-là. Ils se considéraient plutôt (réciproquement) comme des "déviants". En outre il existe plus essentiellement une raison interne une raison logique pour cette différenciation entre une lignée centrale et diverses branches annexes. Le courant qui va de Menger à Rothbard en passant par Böhm-Bawerk et Mises se reconnaît à un mode de raisonnement unitaire qui le distingue fondamentalement de tous les autres courants de la tradition. De Menger à Rothbard, on se considère expressément comme rationaliste, et on refuse catégoriquement de manipuler aucune de ces cartes à jouer du relativisme que sont l'historicisme, le positivisme, le "falsificationnisme" ou le scepticisme dans les sciences sociales12. On n'y est pas seulement persuadé qu'il existe des lois économiques mais en outre, tout particulièrement, qu'il s'agit là de lois "exactes" (Menger) ou "a priori" (Mises)13* : à l'inverse des propositions générales des sciences de la nature, qui doivent encore et toujours être vérifiées par les données de l'expérience et qui, à partir de là, ne peuvent jamais invoquer d'autre validité (justification) que "purement hypothétique", en matière de lois économiques c'est à des relations nécessaires, donc dépourvues de tout caractère hypothétique, et à une validité "apodictique" des énoncés que l'on a affaire. Tous les théorèmes fondamentaux de l'économie peuvent se déduire logiquement de quelques faits d'expérience simples et incontestables (Menger) voire d'un unique axiome, qu'il est impossible de nier sans contradiction ; et toutes les autres propositions peuvent à leur tour être logiquement déduites, en partant de ces fondements-là, ainsi que d'un certain nombre de suppositions empiriques (et empiriquement vérifiables). En conséquence, et de Menger à Rothbard on en est persuadé, il n'est absolument pas nécessaire de "tester" la validité des énoncés de la science économique au moyen des données de l'expérience ; et d'ailleurs, ce n'est même pas possible logiquement. Tout au plus l'expérience peut-elle illustrer la validité des théorèmes économiques, mais elle ne peut jamais en contredire ("réfuter") aucun, car en dernière analyse la validité d'un théorème repose exclusivement sur la force probante (et sur l'emploi correct) des règles de la déduction logique. En outre, en tant que rationaliste, il faut admettre qu'on est là au point de départ d'un véritable système d'individualisme épistémologique et méthodologique. Comme il n'y a que les individus qui agissent, il est nécessaire que tous les phénomènes "sociaux" puissent être expliqués (reconstruits) comme le résultat d'actions humaines intentionnelles. Dès lors, toute explication "holiste" ou "organiciste" des phénomènes sociaux doit être catégoriquement rejetée, comme une pseudo-explication non scientifique. De même doit-on rejeter comme non scientifique et là-dessus aussi tout le monde est d'accord de Menger à Rothbard, toute explication mécaniste des phénomènes sociaux. L'action humaine est une action dans l'incertain. La représentation d'une mécanique de l'équilibre ne peut servir que dans la mesure où elle contribue à faire comprendre ce que l'action, justement, n'est pas, et à quel point elle se distingue catégoriquement des opérations d'un automate.

III

Le rationalisme de la tradition qui s'étend de Menger à Rothbard en passant par Böhm-Bawerk et Mises a eu deux effets. Le premier est justement la rigueur logique et méthodologique de ce rationalisme, grâce à laquelle la tradition intellectuelle de l'école autrichienne ne s'est jamais rompue, malgré toutes les disqualifications idéologiques [qu'elle a subies] au cours des cent dernières années. Alors que, pendant tout ce temps, les représentants des diverses branches secondaires exerçaient une plus grande influence que leurs cousins rationalistes, aucun d'entre eux n'est parvenu à fonder une école de pensée durable. Tous les écarts par rapport au programme [de recherche] rationaliste sont davantage apparus comme des phénomènes de mode purement passagers14Etats-Unis. Au sein de l'école autrichienne, seule la tradition rationaliste est jusqu'à présent parvenue à attirer constamment de nouvelles générations d'économistes.
Cependant, le second effet a aussi été que ce rationalisme sans compromis a été responsable du fait que l'influence de l'école autrichienne sur le cours des événements historiques en général et le développement des sciences économiques et sociales en particulier a longtemps connu un déclin persistant, pour ne connaître un puissant renouveau que depuis le milieu des années 70.
En ce qui concerne le cours des événements extérieurs, ce fut le sort de l'école autrichienne, qu'au cours du vingtième siècle, les indications de politique pratique déduites de ses recherches théoriques allaient complètement à l'encontre de l'esprit du temps. Le vingtième siècle a été et demeure l'ère du socialisme : du communisme, du fascisme, du socialisme national et de la démocrate sociale. A l'inverse Menger, Böhm-Bawerk, Mises et Rothbard étaient non seulement des libéraux ou libertariens15Etats-Unis déterminés, c'est-à-dire les partisans d'un ordre économique et social capitaliste. Bien plus, la position libérale antisocialiste de l'école autrichienne a connu une radicalisation toujours croissante, son opposition à la mentalité socialiste devenant de plus en plus véhémente et irréconciliable à mesure que le temps passait. Alors que Menger et Böhm-Bawerk ne voulaient reconnaître à l'Etat qu'un tout petit nombre de fonctions, il n'y avait plus pour Mises qu'une seule fonction légitime de l'Etat : instaurer et faire respecter un système de droit privé fondé sur la propriété personnelle et la liberté des contrats. Quant à Rothbard, il a fait un pas supplémentaire, contestant totalement la justification économique (et morale) de l'Etat et recommandant à la place le modèle social d'une anarchie ordonnée ou anarchisme de propriété privée16. Seuls les événements des années 70 et 80 ont amené un changement. Après presque cent ans de croissance quasi ininterrompue de l'Etat et de mépris croissant pour les enseignements de l'école autrichienne, les premières failles impossibles à cacher sont ensuite apparues dans la structure des appareils d'Etat démocrates-sociaux en Europe et en Amérique du Nord. Au début des années 70, aux Etats-Unis (comme dans la plupart des pays d'Europe occidentale) apparut pour la première fois un phénomène de stagflation une récession inflationniste au lieu d'être déflationniste, comme habituellement dans le passé. Cela fit trembler sur ses bases le keynésianisme, qui avait jusqu'alors et depuis les années trente déterminé presque sans partage la politique économique des Etats-Unis et de l'Europe occidentale. On était, à en croire Keynes, censé tenir la stagflation pour "impossible". D'après son enseignement d'interventionnisme inflationniste, l'inflation était justement le moyen de sortir d'une récession ! De sorte que le keynésianisme s'est retrouvé en crise, crise dont il ne s'est jusqu'à présent pas encore remis17. Puis en 1974, un an après la mort de Mises, Hayek le premier non-keynésien reçut le prix Nobel d'économie pour sa contribution au développement de la théorie conjoncturelle dite de Mises-Hayek, et de la conjonction de ces deux événement naquit un premier regain d'intérêt pour les Austrian Economics.
En outre, à partir du début des années 70, il devenait aussi de plus en plus clair que le niveau de vie général n'augmentait plus comme auparavant, mais avait même commencé à baisser. Et ce, non seulement en Europe occidentale, mais aussi aux Etats-Unis, dans le pays vainqueur des deux guerres mondiales18. C'est seulement cela qui a conduit à redécouvrir la théorie misésienne de l'interventionnisme. L'élément central de cette théorie était la thèse de l'impossibilité d'une "troisième voie" (entre le capitalisme et le socialisme). D'après Mises, tous les systèmes interventionnistes qui conservent nominalement la propriété privée et l'entreprise mais où il revient à l'Etat d'intervenir pour "corriger" les résultats du marché, doivent mener soit progressivement au socialisme réel, soit à un retour au capitalisme. Car toute intervention sur le marché est contre-productive et crée davantage du problème qu'elle était censée corriger. Une contribution étatique redistributive au profit de certains revenus ceux des pauvres ou des chômeurs par exemple conduit inéluctablement à une pauvreté et à un chômage accrus. De sorte qu'en second lieu il faudra soit diminuer les paiements, soit les interrompre tout à fait. A moins qu'on n'accroisse les sommes versées, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'à la fin on en vienne à une abolition complète de la propriété privée. Il est en revanche impossible de s'en tenir au niveau d'intervention choisi au départ19. Et finalement, à la fin des années 80, s'est produit l'effondrement spectaculaire du socialisme réel en Union soviétique et dans les pays de l'Europe de l'Est. Mises avait dès le début prédit cet effondrement comme inévitable. Comme dans le socialisme l'ensemble des facteurs de production, y compris la terre et le sol, sont possédés par le collectif et ne peuvent donc pas être achetés ni vendus, ils n'ont pas de prix de marché pour indiquer leur rareté. Or, en l'absence de prix de marché, tout calcul économique toute comparaison des coûts et des prix de vente est impossible. Socialisme ne signifie pas "davantage" de planification, ni une planification "meilleure". Bien au contraire, affirme Mises, socialisme veut dire chaos : le défaut de toute planification, de toute action rationnelle, calculée, et doit donc nécessairement conduire en permanence à une mauvaise affectation des facteurs de production, à la consommation du capital et à un effondrement irrésistible du niveau de vie de la société. Au vu des événements spectaculaires en Europe de l'Est à la fin des années 80, et des dévastations économiques du "socialisme réel" désormais constatables par tous et chacun, nombre de socialistes parmi les plus invétérés ne pouvaient même plus s'empêcher d'avouer que Mises avait raison.
Un changement comparable a marqué l'influence de l'école autrichienne en ce qui concerne particulièrement le développement des sciences économiques et sociales. Dans les pays de langue germanique, et particulièrement dans le Reich allemand, l'influence de l'école autrichienne avait été dès le départ extrêmement réduite. En Allemagne, de la fin du XIX° siècle jusqu'aux années 1920, les sciences économiques et sociales étaient dominées par les représentants de ce qu'on a appelé l'"école historique". Gustav von Schmoller passait pour être le maître d'une "science économique de l'Etat." [Wirtschaftliche Staastwissenschaften] Son école, celle des "Socialistes de la chaire" [Kathedersozialisten], régnait sur les universités allemandes20. Schmoller et ses adeptes, comme ses successeurs dont par exemple Werner Sombart, tenaient pour établi qu'il n'existait pas de lois universellement valides en économie. En économie la théorie, quand elle était le moins du monde possible, était censée ne pouvoir se déduire que de l'expérience historique. L'histoire économique était la grande mode, et le "savant" était celui qui publiait des compilations raboutées à partir de liasses de documents21*. L'économie politique classique abstraite et théorique, et tout particulièrement le rationalisme absolu de l'école autrichienne, étaient tenus dans le plus grand mépris. En-dehors l'Allemagne, cependant, l'influence de l'école autrichienne croissait presque sans interruption. La théorie "subjectiviste" de la valeur fondée par Menger devenait le fondement de toute la théorie économique moderne. La théorie de l'intérêt de Böhm-Bawerk fut reconnue entre autres par des économistes aussi importants que Knut Wicksell ou Frank A. Fetter et Irving Fisher, les plus influents théoriciens américains de l'économie de la première moitié du XX° siècle et fondateurs de ce qu'on appelle l'école monétariste. Les recherches de Mises sur les fondements épistémo-méthodologiques de la théorie économique influençaient entre autres Lionel (qui devait devenir Lord) Robbins et furent connus dans le monde de langue anglaise grâce à sa Nature et signification de l'économique22** publié en 1932 et qui fut extrêmement influente jusque dans les années 1950. Quant à la théorie conjoncturelle de Mises, à partir de laquelle lui-même et Hayek. à la différence d'une majorité écrasante de leurs collègues) avaient prédit la crise mondiale de la fin des années 2023, connut un succès franchement sensationnel, après que Hayek, à l'invitation de Lionel Robbins, eut pour la première fois présenté la théorie en anglais en 193124.
Cependant, à partir du milieu des années 30, ce fut presque un demi-siècle de descente pour l'influence de l'école autrichienne. Si foudroyant qu'ait été le succès de la théorie conjoncturelle de Mises et Hayek, c'est aussi rapidement qu'elle fut oubliée, après qu'en 1936 eut éclaté ce qu'on a appelé la Révolution keynésienne. La Théorie générale de Keynes ne contenait rien qui puisse ressembler à une amorce de réfutation de la théorie autrichienne. Cependant, alors que la théorie de Mises et Hayek allait au rebours de l'esprit du temps ce qui rend son premier succès d'autant plus étonnant la réussite de Keynes tenait au fait qu'il avait prêté sa force d'expression et sa légitimité scientifique aux préjugés dominants de l'étatisme. La théorie autrichienne de la conjoncture fut simplement supplantée, et on finit par l'oublier25.
Cependant, un autre événement fut déterminant pour le long déclin de l'école autrichienne commencé dans les années trente : l'émergence de la philosophie du positivisme. Les économistes autrichiens avaient eu d'emblée une connaissance des plus intimes de la philosophie positiviste et du "rationalisme critique" (le falsificationnisme) de Karl Popper qui en est très proche. La place forte des positivistes n'était-elle pas ce qui devint plus tard célèbre sous le nom du "Cercle de Vienne", autour du philosophe Moritz Schlick ? Le frère cadet de Mises, le mathématicien et théoricien des probabilités Richard von Mises, était un membre éminent du cercle de Schlick, et le méthodologiste Felix Kaufmann participait régulièrement aussi bien au cercle de Schlick qu'à celui de Mises, et amenait souvent chez ce dernier des schlickiens comme invités au Privatseminar de Ludwig von Mises.26 Le cercle de Schlick était considérablement plus restreint que celui de Mises, et la philosophie positiviste était d'abord en Autriche et en Allemagne quasiment sans influence aucune. Cela ne changea qu'après que la plupart des positivistes, à la suite de la prise de pouvoir par les Socialistes Nationaux eurent émigré dans les pays anglo-saxons, et qu'une partie d'entre eux y eut, en tant qu'intellectuels européens, obtenu des postes universitaires éminents. A la suite de la Seconde guerre mondiale de l'apparition des Etats-Unis comme superpuissance militaire avec ses alliés, et le déménagement du foyer de la recherche scientifique de l'Europe vers les USA, accéléré par l'émigration des savants européens au cours des années 30Etats-Unis ils finirent par réexporter vers l'Europe l'influence qu'ils avaient acquise là-bas, et la vision positiviste du monde devint au cours des décennies la philosophie dominante du monde occidental.
A la différence des historicistes, les positivistes et les falsificationnistes ne niaient pas entièrement la possibilité des lois économiques. Mais ils affirmaient qu'on ne peut jamais formuler que deux types de lois générales : il peut s'agit de définitions terminologiques arbitraires des propositions analytiques et de leur avatars tautologiquement déduits : ces énoncés seraient vrais à titre non hypothétique (a priori) mais, soi-disant, ils n'auraient aucune sorte de contenu factuel. Ou alors, ce seraient des propositions empiriques, liées à la réalité, mais alors prétendument elles n'auraient jamais qu'une validité hypothétique et devraient être vérifiées et retestées sans cesse au vu de l'expérience. En revanche, ce que la tradition rationaliste centrale de l'école autrichienne avait déterminé comme le characteristicum specificum de la science économique et que, depuis des siècles, la plupart des économistes avaient aussi (au moins implicitement) reconnu comme la marque distinctive essentielle des énoncés de l'économie politique : à savoir qu'il s'agit d'une connaissance non hypothétique de la réalité ou, pour parler comme Kant, de jugements vrais synthétiques a priori ; cela, c'est ce que positivistes et falsificationnistes décrétaient absolument impossible .i.Praxeology*.
[Alors], sous l'influence du positivisme et du poppérisme, les sciences économiques devinrent soit une sorte de jeu mathématique soit une version "économique" de la "recherche expérimentale" pour laquelle et en cela elle est étroitement liée à l'Historicisme il n'existe aucune espèce de différence systématique entre la théorie et l'histoire, l'histoire passant en outre pour un fondement indispensable et un terrain d'essais pour toute théorie). En tant que discipline analytique, l'économie a de plus en plus dégénéré en "économie mathématique", en branche secondaire des Mathématiques (largement ignorée par les "vrais" mathématiciens). Libérés de toute obligation de justifier d'un lien quelconque avec la réalité de l'"activité économique" proprement dite, les "économistes" mathématiciens s'affairent depuis sur des systèmes d'hypothèses arbitraires, à développer et à démontrer leurs implications logico-mathématiques et leur cohérence interne. Ils analysent dans les cas extrêmes sans recours aucun à la langue naturelle, par des moyens exclusivement mathématiques les propriétés d'objets et de situations imaginés à discrétion c'est dire qu'ils n'existent pas : l'"équilibre", l'"indifférence", l'"information parfaite". Ils font des calculs : additionnent, soustraient, multiplient, divisent, différencient, intègrent des unités d'objets imaginés pour la convenance l'"utilité", et font force suppositions et opérations sur des relations arbitraires non-existantes : fonctions et déterminations simultanées entre des objets et des propriétés non moins arbitrairement postulés. Le résultat, comme l'établit un coup d'œil sur n'importe laquelle des revues internationales spécialisées soi-disant en pointe, est un flot ininterrompu d'exercices symboliques littéralement dépourvus de toute signification et de toute applicabilité des jongleries mathématiques en lieu et place d'une science sérieuse et authentique, sans même la plus petite ressemblance avec ce qui jadis jusqu'à il y a quelques décennies passait pour être la science économique, et que l'ensemble des "économistes classiques" entendaient d'ailleurs par là27.
De l'autre côté en tant que discipline "empirique" la science économique dégénérait toujours davantage en une "recherche quantitative", ou encore en "économétrie". Puisque, soi-disant, il ne pouvait y avoir de connaissance de la réalité qui ne soit hypothétique et que toute connaissance empirique ne pouvait prétendument être qu'hypothétique, alors on pouvait on devait procéder dans le domaine des sciences économiques et sociales exactement comme dans celui des sciences naturelles expérimentales : par la méthode de l'essai et de la découverte des erreurs. On formule donc des hypothèses (des modèles) au choix sur les rapports entre certaines grandeurs (variables) empiriques, puis on "observe" ou on "n'observe pas" les données qui devraient y correspondre, pour finalement "tester" les hypothèses à l'aune de ces données-là. Que les prédictions déductibles des hypothèses "correspondent" avec les données effectives, et voilà l'hypothèse confirmée jusqu'à nouvel ordre ; qu'elles n'y correspondent pas, et voilà que l'hypothèse est réfutée et doit être soumise à révision. Les conséquences de cette forme ([pseudo-]expérimentaliste) de la science économique, on peut de même les constater d'un simple coup d'oeil dans les périodiques les plus en vue du monde universitaire. Entre deux exercices de jonglerie mathématique, on n'y trouve guère autre chose qu de la "construction de modèles" et des "tests". Mais les résultats sont suffisants pour dégriser n'importe qui. La capacité à prévoir des modèles économétriques comme l'opinion générale elle-même le reconnaît d'ailleurs de plus en plus est un sujet de rigolade proverbial. Tout profane un peu dégrossi, sans y avoir recours le moins du monde, peut produire des pronostics aussi bons (ou aussi mauvais) voire bien meilleurs. La recherche quantitative en économie n'a jusqu'à présent jamais produit une seule nouvelle idée fondamentale cependant qu'au cours d'une multitude innombrable d'"études scientifiques" engagées à cette fin, [cette même recherche quantitative] contribuait à ce que même les fondements les plus apparemment inébranlables de l'économie politique soient remis en question par des entreprises "expérimentales". Cependant que, dans le domaine des sciences économiques et sociales, il ne se trouvait guère de proposition, si incroyable ou folle qu'elle ait semblé être, qui n'ait trouvé diverses études "empiriques" pour, simultanément, aussi bien la "confirmer" que la "réfuter" par l'expérience28.
Vu l'insignifiance patente de l'économie mathématique, le caractère de plus en plus visiblement arbitraire des objets et des résultats de la recherche empirique et la perte d'intérêt, la dévalorisation de la recherche scientifique en économie en tant que telle qui en sont résultées, l'économie, à partir de la fin des années 70, s'est retrouvée dans une "crise scientifique" au sens de Thomas Kuhn*, crise qui s'aggrave toujours depuis lors. En dépit de leur échec manifeste, les économistes quantitativistes et mathématiciens n'ont naturellement pas abandonné leurs postes et règnent toujours aujourd'hui sur les universités en vue et sur les publications scientifiques. Mais parmi les étudiants et les savants des générations montantes, il est depuis apparu de plus en plus de contestataires, qui rejetaient l'ensemble du programme de recherche (le paradigme) positiviste-falsificationniste comme stérile et même catégoriquement vicié, et se tournaient vers un autre, ou se consacraient à la recherche d'une porte de sortie analogue. De même a-t-on pu constater une reprise dans la création de nouvelles revues spécialisées, qui ne se présentaient plus seulement comme des concurrentes directes des périodiques établis avec leurs auteurs et/ou lecteurs et le même programme de recherche (mais en mieux et en plus mathématiquement compliqué ou au contraire plus mauvais et plus simple), mais entendaient offrir à la place un produit entièrement autre, fabriqué par des auteurs différents et adressé à des lecteurs différents (ou du moins convertis)29.
La crise du programme de recherche positiviste s'aggrava au cours des années 80, après que les prédictions mêmes des monétaristes, qui avaient entre-temps supplanté les keynésiens comme école "dominante" de la science officielle, s'étaient révélées d'une fausseté patente30. Dans cette situation de crise, on n'a pas seulement vu ressusciter les autres versions du relativisme dans les sciences sociales, étouffées au cours des hautes eaux du positivisme : de l'économie néo-institutionnaliste, rhétorique, interprétativiste, herméneutique, post-moderne ou ultra-subjectiviste31 ; on a surtout assisté à la redécouverte de la tradition de l'école autrichienne et de la différence essentielle de son programme de recherche rationaliste.
Les plus grands représentants de l'école autrichienne, et en particulier Ludwig von Mises, avaient dès le départ réprouvé comme fausse et contradictoire la méthodologie positiviste-falsificationniste ainsi que son emploi dans le domaine des sciences économiques et sociales. Pour commencer, disait Mises, il est contradictoire de prétendre qu'il ne saurait y avoir que des propositions analytiques ou des propositions empiriques ; car cette affirmation même, si on veut lui prêter la moindre force probante c'est-à-dire si elle ne doit pas n'être à son tour qu'une proposition analytique "arbitraire" ou alors une affirmation empirique "hypothétique" doit elle-même représenter justement ce que les positivistes prétendent être impossible : à savoir une connaissance non hypothétique de la réalité. Deuxièmement, indépendamment de ce que l'on peut penser de l'applicabilité de la méthode positiviste dans le domaine des sciences de la nature, il est en tous cas contradictoire de penser qu'elle puisse aussi trouver un emploi dans le domaine des sciences sociales ; car tout savant qui teste des hypothèses doit au moins implicitement convenir qu'en principe il n'est pas en position de prédire aujourd'hui les résultats à venir de sa propre activité future de recherche (en fait, c'est justement parce qu'on est incapable de faire cela que la recherche a le moindre sens), et il s'ensuit que lui-même et son agir propre c'est-à-dire le domaine des objets qu'étudient les sciences sociales ne peuvent par principe pas du tout être expliqués ni prédits comme les positivistes se l'imaginent32*.
Depuis la fin des année 70, au vu de l'échec de plus en plus patent du programme de recherche positiviste-falsificationniste, on ne s'est pas borné à redécouvrir ces arguments-là ; de plus en plus, particulièrement chez les jeunes experts en sciences économiques et sociales on découvrait aussi que l'école autrichienne qui était presque tombée dans l'oubli pendant les hautes eaux du positivisme avait dépassant largement la critique logique du positivisme et dans l'ignorance de la plupart de l'opinion scientifique élaboré un système d'économie descriptive presque complètement développé et achevé, dont les propositions se distinguent fondamentalement par leur nature de l'insignifiance et de l'arbitraire des énoncés de la recherche économique positiviste.
Premièrement, à la différence de ce que font les économistes mathématiciens, la tradition centrale de l'école autrichienne de Menger à Rothbard avait toujours inébranlablement affirmé que l'ensemble des concepts, opérations et relations de l'économie possèdent un contenu empirique voire opérationnel parfaitement clair et déterminé (Ce n'est qu'en tant que science de la réalité que l'économie peut justifier son existence ; de sorte qu'en économie tous les concepts et relations conceptuelles doivent se rapporter à des objets et à des événements réels (ou du moins qui peuvent exister). Parmi les concepts qui peuvent prétendre à un contenu empirique et opérationnel dépourvu de toute ambiguïté figurent entre autres l'action (la poursuite délibérée d'un objectif avec des moyens rares), l'appropriation, la propriété et l'agression (la violation de la propriété) ; la consommation, la production et les moyens de production ; l'échange direct, les prix et la contrainte (l'échange forcé) ; l'échange indirect, les instruments d'échange (la monnaie) et le calcul en monnaie ; l'intérêt, le crédit (l'échange inter-temporel) et le capital ; le profit, la perte, l'accumulation et la consommation du capital ainsi que la faillite.
En revanche, il faut exclure par principe de toute analyse économique tous les concepts et hypothèses qui décrivent des objets ou des événements non existants (irréalistes) ou impossibles (à moins que ce ne soit à des fins didactiques : comme feuille de contraste pour expliquer voire développer un concept réaliste évidemment différent). C'est valable par exemple pour le concept d'"équilibre" l'action est toujours l'expression d'une préférence, du souhait d'une amélioration du bien-être ressenti et de ce fait, une personne qui agit, aussi longtemps qu'elle agit seulement, n'est jamais en équilibre, et son action ne peut donc jamais être décrite au moyen d'une équation33. C'est valable pour le concept d'"indifférence", et pour toute l'analyse des "courbes d'indifférence" qu'on a construite dessus toute action est l'expression d'un choix réfléchi et implique que l'on préfère un produit ou une satisfaction à un autre, et une personne qui agit ne peut donc jamais être indifférente à des quantités ou à des combinaisons de produits34. C'est [aussi] valable en ce qui concerne l'hypothèse de prévision parfaite l'action est toujours une action face à l'incertitude, avec une information imparfaite35. Et c'est particulièrement vrai en ce qui concerne l'emploi de l'arithmétique et des mathématiques.
Il est évident qu'on ne peut se servir de l'arithmétique et des mathématiques que là où il existe des unités que l'on peut compter et/ou des grandeurs que l'on peut mesurer. Il est indubitable que de telles unités, de telles grandeurs existent et non moins douteux qu'il existe de ce fait, dans cette mesure, un large domaine d'application pour les mathématiques. La réalité extérieure, où les personnes agissent, contient des unités que l'on peut compter, des grandeurs que l'on peut mesurer, et les relations entre ces unités et des objets peuvent aussi de ce fait se traiter mathématiquement. Cependant, le résultat de cet emploi des mathématiques est du domaine de la technologie. Le savoir technique savoir comment on peut estimer à l'avance certains résultats externes (physiques) sur la base de certaines opérations de comptage, de mesure et de calcul a indubitablement une grande importance, mais cela n'a rien à voir avec ce dont l'économie se préoccupe. L'économie ne s'occupe pas d'expliquer comment certains "entrants" se transforment en certains "extrants" (c'est de la technique de production !), mais bien au contraire de la manière dont les personnes qui agissent font un choix entre une multiplicité de techniques réalisables de production : comment elles se décident (choisissent) entre divers types possibles de production et, pour un produit donné, entre différentes combinaisons possibles de biens de production36. Cette procédure de décision (ce choix) économique concerne des objets externes (objectifs) qu'il est possible de compter et de mesurer. Mais ce ne sont pas ces objets externes qui déterminent son issue : c'est une évaluation subjective [par un acte de la pensée] à leur sujet : jugement de valeur porté, par une personne qui agit, sur l'utilité perçue à la marge (valeur) des objets et relations externes susceptibles d'être comptés, mesurés et calculés. Cependant, l'utilité du produit particulier ou de la combinaison donnée de biens de production déterminée par le choix économique n'est elle-même pas un objet (une grandeur) comptable ni mesurable. L'utilité est une grandeur intensive et non extensive. On peut ranger les objets et les événements relativement à l'importance qu'on leur a attribuée (comme plus ou moins utiles [dans ce contexte]), et la formation d'une hiérarchie par ordre d'importance et tout ce dont on a besoin pour faire un choix économique. Cependant, on ne peut jamais mesurer l'"utilité" d'un objet. Il n'existe pas d'"unités" d'importance, et en l'absence de telles unités il n'existe aucune espèce de possibilité de se servir d'opérations mathématiques ni de "quantités" et encore moins de "fonctions" d'utilité. Au-delà de ce classement des objets par ordre de rang, il n'existe aucune espèce de relation mathématique (quantitative) entre l'utilité de différents objets, quantités d'objets et combinaisons d'objets. La conséquence n'est pas seulement qu'en économie il faut proscrire comme non scientifique toute comparaison d'utilités entre les personnes. Il ne faut pas moins rejeter toutes les opérations mathématiques dans lesquelles l'expression d'"utilité" apparaît de façon illégitime37*. Et en particulier, il faut exclure tout emploi du concept d'"utilité totale" comme complètement anti-scientifique ; car l'idée d'une "utilité totale implique que l'on pourrait faire la somme arithmétique ou intégrale des jugements d'utilité portés à la marge [à l'occasion des diverses actions] sur les divers objets et quantités d'objets. Or en fait, il n'y a pas d'utilité "totale", mais seulement l'utilité à la marge [c'est-à-dire à l'occasion des choix] de quantités d'objets plus ou moins grandes ou petites. L'utilité à la marge d'une quantité plus grande d'un objet donné est toujours nécessairement plus grande que celle d'une plus petite quantité du même bien [par définition même de ce que c'est qu'un bien]. Et sur les objets en quantité ou d'une grosseur donnée règne la loi bien connue de l'utilité marginale décroissante : l'utilité à la marge de l'unité d'un objet d'une certaine taille diminue toujours lorsque la quantité du bien à la disposition d'une personne augmente d'une unité supplémentaire, c'est-à-dire que l'utilité à la marge de la deuxième unité de l'objet est toujours nécessairement moindre que celle de la première, etc. Toutes ces relations sont ordinales par nature et il n'existe aucune espèce de point de départ pour un emploi quelconque de l'arithmétique et des mathématiques en économie politique38.
Dans le cadre de l'économie analytique (mathématique), le processus de formation des concepts et des postulats était supposé arbitraire, ce qui menait forcément à l'insignifiance ; la tradition rationaliste de l'école autrichienne s'est au contraire toujours souciée de faire que tout concept et tout postulat possède un fondement empirico-opérationnel parfaitement clair et doive se rapporter à un objet existant réellement ou du moins potentiellement. Ainsi, tout ce que l'Ecole autrichienne a pu avoir à dire était directement applicable, et intéressant pour la pratique.
Deuxièmement, par opposition à la pratique des chercheurs quantitativo-empiristes en économie, la tradition autrichienne avait toujours inébranlablement affirmé que ce que décrivent les énoncés de l'économie politique consiste en des relations nécessaires et non hypothétiques, et que la logique de la recherche et du progrès scientifiques dans le domaine des sciences économiques diffère fondamentalement de la méthode positiviste des essais et de la découverte des erreurs. La loi de l'utilité marginale décroissante n'est pas une hypothèse, elle est logiquement déduite du fait universel que toute action implique une préférence, associé à la supposition que la disponibilité d'un bien particulier s'accroît d'une unité de même taille. De même, ce n'est pas une hypothèse, mais une relation logiquement nécessaire, quand on dit que tout échange volontaire entre deux propriétaires privés doit nécessairement être perçu ex ante comme avantageux par l'un comme par l'autre, et que les deux parties à l'échange présentent un ordre de préférences inverse en ce qui concerne les objets échangés. Et il n'est pas davantage purement hypothétique qu'un accroissement de la quantité de monnaie conduise à une perte de son pouvoir d'achat, à une modification des prix relatifs et à une redistribution des revenus. Et il n'est pas non plus "hypothétique" que des loyers maximum fixés par la loi conduisent à une économie de pénurie dans le domaine du logement locatif, que des salaires minimum imposés par la loi provoquent un chômage forcé, ou qu'il ne peut pas y avoir de calcul économique dans une économie [de planification] socialiste. Tous ces énoncés décrivent également des relations logiquement, conceptuellement nécessaires. A la place d'un choix arbitraire d'hypothèses de départ (ce que fait la recherche économique empirico-quantitativiste) la tradition rationaliste des autrichiens apporte une validité et une nécessité catégoriques (apodictiques).
Pour un positiviste, une telle prétention à la validité doit présenter tous les traits de l'hubris intellectuelle. En fait, elle est bien au contraire dictée par une modestie intellectuelle affirmée. Tout d'abord, invoquer une validité apodictique des énoncés n'implique en aucun cas une prétention à être infaillible. La logique et la Mathématique aussi s'occupent de relation non hypothétiques et ni les logiciens ni les mathématiciens ne réclament aucune espèce d'infaillibilité pour eux-mêmes. Ce qu'ils prétendent simplement, c'est que la preuve du caractère erroné de leurs énoncés doit être apportée sur la base d'autres propositions non hypothétiques mais logiques ou mathématiques, et non pas sur celle de "tests" empiriques quelconques. Les autrichiens n'exigent rien de plus, ou rien d'autre, pour leurs propres énoncés. Des arguments non hypothétiques praxéologique ne peuvent être attaqués que par d'autres arguments praxéologiques. Par-dessus le marché, qu'ils invoquent une validité apodictique pour leurs énoncés n'implique en aucune manière une prétention à l'universalité, du genre que toute connaissance factuelle dans le domaine des sciences de l'action humaine serait de cette nature apodictique-là. Bien au contraire. Alors que pour les positivistes, tous les phénomènes sociaux doivent êre traités par une seule et même méthode, on a toujours insisté, de Menger à Rothbard, sur une séparation stricte entre la théorie et les énoncés théoriques (l'économie politique) d'une part et l'histoire et autres descriptions événementielles (y compris les prévisions des entrepreneurs) d'autre part. L'économie politique ne peut expliquer qu'un petit domaine, étroitement limité, des phénomènes et des aspects de la réalité sociale mais elle est tenue de le faire apodictiquement. Un autre domaine (plus étendu et plus important) des phénomènes et aspects de la société demeure complètement fermé aux explications et aux prédictions de la théorie économique. Dans ce domaine celui de l'explication historique et de l'activité de prévision des entrepreneurs il n'existe aucune connaissance apodictique, mais jamais rien d'autre que des tentatives de reconstruction ou de prédiction construites à partir d'une compréhension du passé39.
Avant tout, la prétention au caractère apodictique de la part des économistes autrichiens n'implique aucune arrogance intellectuelle, mais tout au contraire un respect déférent pour l'histoire de la pensée économique. Car si les lois économiques consistent effectivement en des énoncés catégoriquement (et non "hypothétiquement") vrais, alors on devrait s'attendre à ce que ces lois, en toute hypothèse, traduisent des vérités "anciennes", découvertes depuis longtemps. Que l'on découvre de "nouvelles" lois non hypothétiques, même si ce n'est pas exclu, doit être un événement intellectuel plutôt rare, et plus celles-ci sont "nouvelles" et plus on doit les envisager avec soupçon. On devrait s'attendre à ce que la plus grande partie de ce qu'il y a à découvrir en manière de connaissance factuelle non hypothétique ait déjà été découvert et pris en compte et n'ait qu'à être redécouvert et réappris. Et cela veut dire que l'on doit s'attendre à ce que, dans le domaine de l'économie comme dans les autres disciplines qui s'occupent d'énoncés catégoriques (non hypothétiques) de fait et de cause (comme par exemple la philosophie, la logique, la mathématique, l'éthique), le progrès de la science soit forcément lent et malaisé. Le "danger" n'est pas que chaque génération d'économistes manque à ajouter en mieux ou en neuf au stock de connaissances qu'elle hérite, mais au contraire qu'elle n'apprenne plus ou plus aussi complètement une connaissance déjà disponible ou retombe dans des erreurs anciennes voire, plus rarement, de nouvelles. De ce côté-là, justement, les autrichiens archi-rationalistes (apodictiques), de Menger à Rothbard, se sont toujours distingués par une attitude de stricte humilité intellectuelle, décantée par un apprentissage approfondi de l'histoire des dogmes économiques. Pour l'essentiel, ils ne prétendaient rien être d'autre que les gardiens d'un savoir ancien, traditionnel, et leur revendication d'originalité scientifique, quand elle était seulement évoquée, était des plus modeste.
Ce sont bien au contraire les chercheurs empiristes-quantitativistes en économie, pour qui soi-disant il ne saurait y avoir qu'une connaissance hypothétique et non apodictique de la réalité, qui se sont montrés arrogants et obtus. De leur point de vue positiviste-falsificationniste, la recherche économique empirique est un processus ininterrompu de progrès se rapprochant toujours davantage de la vérité d'essais (les hypothèses), de constatation des erreurs (la "réfutation") et de tentatives renouvelées (avec des hypothèses modifiées). De sorte que toute connaissance "plus tardive" (plus récente) apparaît forcément toujours comme une connaissance "meilleure" ; car à mesure que passe le temps, après un délai plus long, il est toujours possible d'avoir éliminé davantage d'erreurs. Il est donc "scientifiquement légitime" que dans son travail, chaque génération montante d'économistes ne se soucie jamais que du dernier (du plus récent) état de la recherche et n'attribue à l'histoire de sa propre discipline que la valeur d'une antiquité bonne à mettre au musée. Comme chez les physiciens, il y est également légitime pour un économiste qu'il apprenne son métier exclusivement à partir de manuels contemporains et d'articles de revues qui sont les plus récents et les plus novateurs à ce moment-là ; et, de même que les physiciens s'occupent fort peu, ou pas du tout, de l'histoire et des classiques de la physique (quel est le physicien qui, pour avancer dans ses études de physique, lit aujourd'hui Aristote, Galilée, Newton ou même Einstein ?!), de même devrait-on, en tant qu'économiste, ne pas s'occuper (ou alors seulement à la marge) de l'histoire et des classiques de son propre métier (car on suppose que toutes les vérités classiques, moins une séried'erreurs entre-temps éliminées, ont été reproduites dans les manuels contemporains). L'histoire de l'économie politique a la même importance relative dans la formation des économistes que l'histoire de la physique dans la formation des physiciens le superflu d'un élevage d'orchidées ! A suivre ce point de vue (positiviste), il serait admissible, normal, que les chercheurs empirico-quantitativistes se rengorgent d'autant plus de leur propre originalité scientifique qu'ils connaissent moins l'histoire de l'économie politique ainsi que ses classiques, et qu'ils puissent alors (n'ayant jamais appris rien d'autre) inébranlablement s'accrocher au programme de recherche positiviste-falsificationniste alors que le caractère inopérant de leur mode de recherche est patent depuis belle lurette.
Ce n'est donc pas parce qu'elles seraient triviales, arbitraires et intellectuellement arrogantes que les propositions du système rationaliste de l'économie et de la théorie sociale autrichiennes (construit avec constance de Menger à Rothbard) se distinguent particulièrement. Elles le font bien au contraire parce que, sans aucune exception, elles sont à la fois pertinentes, logiquement contraignantes et modestes dans leurs ambitions. Elles au moins, en effet, se limitent à leur domaine propre d'énonciation et de validité, et se fondent sur une connaissance authentique de l'Histoire.
A partir du milieu des années 70, face au contexte d'une crise de l'État-providence toujours plus évidente et de l'impasse concomitante du positivisme (et de la philosophie de l'ingénierie sociale au coup par coup), une croissance constante du nombre d'"autrichiens" déclarés se produisit après des décennies d'oubli, d'abord et avant tout aux Etats-Unis, mais aussi en Europe et en Amérique du Sud. Dans le monde académique, les autrichiens sont encore une tout petite minorité. Vu le jugement que porte l'Ecole autrichienne sur le programme de recherches positiviste tout entier de l'économie mathématique à la recherche empirico-quantitative en économie (l'économétrie) comme étant l'erreur intellectuelle du siècle, c'est difficilement surprenant. En outre, étant donné le fait que les autrichiens sont, comme résultat final de leur recherches économiques, devenus des défenseurs apodictiques et catégoriques de l'idée "démodée" d'une économie monétaire et capitaliste fondée sur la propriété privée et la liberté d'entreprendre du libéralisme en somme et dénient donc fondamentalement toute justification à l'ensemble de l'État-providence moderne (démocrate-social) en général et au système universitaire plus ou moins complètement étatisé en particulier, il fallait carrément s'attendre à ce que la progression desdits autrichiens soit âprement combattue par l'establishment des universités. En dépit de ces obstacles, la représentation des autrichiens dans le monde universitaire des sciences économiques et sociales ne s'est pas moins accrue sans discontinuer. Depuis, des autrichiens se sont mis à enseigner dans des dizaines d'universités américaines, et il existe tout un ensemble de facultés à l'orientation autrichienne prononcée.
Au-delà du domaine universitaire, l'Ecole autrichienne a surtout réussi depuis à prendre pied, de plus en plus, dans l'opinion profane cultivée, et par là exercer une influence toujours croissante sur l'opinion publique américaine. Alors que pour les personnes employées en-dehors de l'activité universitaire (qui sont dans la vie normale) les résultats de l'économie mathématique et de la recherche empirico-quantitative sont dépourvus d'intérêt et n'ont aucun sens (personne n'est prêt à payer volontairement pour les acheter), les économistes autrichiens avaient à dire des choses que les êtres humains "normaux" peuvent comprendre, et dont ils pouvaient apprécier le sens et l'importance. Et ce que les autrichiens avaient à dire : simple, éprouvé et logiquement nécessaire, frappait dans ce public-là une corde de plus en plus sensible au vu de la crise toujours plus évidente de l'État-providence et du discrédit croissant qu'elle valait aux écoles interventionnistes de l'establishment, keynésiens et monétaristes. Résultat et traduction de cet état de fait, en 1982 fut fondé le Ludwig von Mises Institute, installé dans l'enceinte de la Auburn University à Auburn, Alabama, et uniquement financé par des fonds privés. C'est particulièrement grâce à l'activité du Mises Institute à ses conférences scientifiques, séminaires d'enseignement, universités d'été, bourses, livres, revues et magazines, savants et populaires que l'idée autrichienne du rationalisme dans les sciences sociales et d'un ordre social libéral reçoit désormais une audience plus claire et plus catégorique. Aujourd'hui, à la fin du vingtième siècle, dans l'opinion publique américaine, la voix des Austrians représente à nouveau une force intellectuelle qu'on ne peut plus manquer d'entendre ni refuser de reconnaître. Et le programme desdits Austrians la propriété privée et la division coopérative du travail comme fondements du bien-être moral et matériel ; un ordre politique dont la fonction exclusive est de garantir et de maintenir les droits de propriété privée ainsi que l'économie de marché [libre] qui en résulte : qui n'intervient pour "corriger", ni dans la différenciation personnelle des revenus et des patrimoines ni dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, et qui doit en même temps s'accommoder du droit de sécession inconditionnel des entités politiques plus petites vis-à-vis des plus grosses ; le libre-échange et un étalon-or international a exercé une influence intellectuelle décisive sur la "contre-révolution populiste", d'opposition fondamentale au "Welfare-warfare State" centralisé à Washington, D. C. qui a pris aux Etats-Unis les proportions d'un mouvement de masse à partir du début des années 90.
Cependant, à la fin du vingtième siècle, malgré tous ses succès au cours des deux dernières décennies, l'école autrichienne n'a pas encore réussi une véritable percée, et il est à craindre qu'un effondrement économique du système (démocrate-social) d'État-providence occidental doive d'abord se produire, avant que l'heure de l'économie autrichienne ne commence à sonner.


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1* Titre original : "Die Österreichische Schule und ihre Bedeutung für die moderne Wirtschaftswissenschaft". [Traduit par François Guillaumat : les inserts entre crochets sont de votre serviteur F. G.]

°2 [Hans-Hermann Hoppe est Professeur au Département d'Economie de l'Université du Nevada à Las Vegas, Senior Fellow du Ludwig von Mises Institute et Rédacteur en chef adjoint de la Review of Austrian Economics. Il est né le 2 septembre 1949 à Peine, en Allemagne de l'Ouest. Il a fréquenté l'Universität des Saarlandes à Sarrebruck, la Göthe Universität de Francfort s/ Main et l'University of Michigan à Ann Arbor pour des études de philosophie, sociologie, histoire et économie. Il a reçu en 1974 son doctorat en Philosophie et son Diplôme post-doctoral (Sociologie et Economie) de la Göthe Universität à Francfort. Il a enseigné dans plusieurs universités en Allemagne, de même qu'à Bologne, au Bologna Center for Advanced International Studies de la Johns Hopkins University.
Outre de nombreux articles et brochures, il a publié Handeln und Erkennen (Berne, 1976), Kritik der kausalwissenschaftlichen Sozialforschung (Opladen, 1983), Eigentum, Anarchie und Staat (Opladen, 1987), A Theory of Socialism and Capitalism (Dordrecht, 1990) et The Economics and Ethics of Private Property (Auburn, 1993)].

3** L'auteur appelle ici "externe" ("äußer") ce qui est accessible au profane et "interne" ("inner") ce qui sera compris du spécialiste. Plus loin, cette même distinction verbale oppose les objets observables aux actes de la pensée [F. G.].

4 Joseph A. Schumpeter, Ten Great Economists (New York : Oxford University Press, 1951).

5 L'expression d'"utilité marginale" revient à Friedrich von Wieser, avec Eugen von Böhm-Bawerk le plus brillant élève de Menger.
La préhistoire de l'école autrichienne est bien plus longue. Elle s'est déroulée pour l'essentiel en-dehors de la Grande-Bretagne, dans les pays catholiques de l'Europe continentale. La lignée des précurseurs s'étend de Jean-Baptiste Say aux derniers Scolastiques espagnols en passant par A.R.J. Turgot et Robert Cantillon. Cf. à ce sujet Murray N. Rothbard, Economic Thought Before Adam Smith. An Austrian Perspective on the History of Economic Thought (tome I) et Classical Economics. An Austrian Perspective on the History of Economic Thought (tome II). Aldershot: Edward Elgar, 1995.

6* Dont la dernière édition, sous le titre Theory of Money and Credit , date de 1953. Disponible à Indianapolis, Ind., chez Liberty Press, 1981.

7footnote ** Paris, Librairie de Médicis. En anglais Socialism (Indianapolis, Ind.: Liberty Fund, 1981).

8*** Disponible à Auburn, Al. au Ludwig von Mises Institute, 1985. On peut y rajouter la brillantissime Ultimate Foundation of Economic Science (The), présentation plus dense et plus profonde du thème qui sert de titre à l'ouvrage précédent, et qui est parue en 1962 (2° éd. disponible à Kansas City, Ks, chez Sheed Andrews & McMeel, 1978) [F. G.].

9**** Traduit en anglais sous le titre : Investigations Into the Method of the Social Sciences with Special Reference to Economics (New York: New York University Press, 1985). La parution de ce livre a été l'occasion d'une polémique entre Carl Menger et Gustav von Schmoller (cf. plus bas), que l'on a appelée "Querelle des méthodes" (Methodenstreit) : cf. à ce sujet Samuel Bostaph, "The Methodological Debate Between Carl Menger and the German Historicists" (Atlantic Economic Journal consacré à "Carl Menger and Austrian Economics", Vol. 6 Nr. 3, septembre 1978).

10* Quoique Rothbard soit le plus grand disciple de Mises, ce n'est pas avec lui qu'il avait fait son doctorat. Les "docteurs" de Mises à New York University sont : Israel Kirzner, Hans Sennholz, George Reisman.

11 Comme plus récent exemple d'un cas désespéré d'incompréhension de la part d'un auteur "maison", cf. Karen Vaughn, Austrian Economics in America, The Migration of a Tradition (New York: Cambridge University Press, 1994). Pour Vaughn, l'histoire de l'école autrichienne met essentiellement en scène Menger, Hayek, Kirzner et finalement Lachmann.
Pour une critique détaillée de Vaughn cf. David Gordon, "Lost in the Move?" The Mises Review, Fall 1995; pour une critique de Ludwig Lachmann comme étant finalement un historiciste complètement non autrichien, cf. Hans-Hermann Hoppe, "On Certainty and Uncertainty Or: How Rational Can Our Expectations be?", Review of Austrian Economics, Vol. 10, No.1 (Fall 1996).

12* "die äußeren und inneren Gründe" (litt. : "les raisons externes et internes") [F. G.].

13 Cf. Joseph Salerno, "Ludwig von Mises as Social Rationalist", Review of Austrian Economics, Vol. 4, 1990 ; Jeffrey Herbener, "Introduction", in : J. Herbener, ed., The Meaning of Ludwig von Mises (Boston: Kluwer, 1993) ; Hans-Hermann Hoppe, "Einführung: Ludwig von Mises und der Liberalismus", in: Ludwig von Mises, Liberalismus (St. Augustin: Academia Verlag, 1993) ; idem, "F. A. Hayek on Government and Social Evolution: A Critique", Review of Austrian Economics, Vol. 7, No.1, 1994 [traduit en français sous le titre : "Hayek démocrate-social"] ; Murray N. Rothbard, "The Present State of Austrian Economics", Journal des Economistes et des Études Humaines, Vol. 6, no. 1, mars 1995.

14* Cela signifie que les lois en question sont aussi vraies, universelles et certaines que 2 + 2 = 4. C'est dire :
que les lois, en économie politique, sont des descriptions non pas approximatives, mais exactes de la réalité.
Que lorsqu'une représentation théorique présente des postulats de départ qui font abstraction de certains faits, ce ne sont pas là des "conditions" qui rendraient la théorie plus ou moins "applicable" et de ce fait contingente, mais la simple délimitation de celles des innombrables relations nécessaires de la réalité que son auteur a choisi de décrire à cette occasion.
Que la causalité qu'elles décrivent n'est pas hypothétique mais certaine, ce qui peut se prêter à l'estimation empirique n'étant pas son existence ni sa manière d'opérer, mais son influence relative : dans les conditions, et pour les raisons que Hoppe précise plus loin sur le type d'aspects de la réalité qui se prête à l'énoncé de propositions générales, et sur ceux qui sont nécessairement contingents.
Cf. à ce sujet : Ludwig von Mises, The Ultimate Foundation of Economic Science, op. cit., et Murray N. Rothbard et. al., Economistes et charlatans, Paris, les Belles Lettres, 1991, partic. les ch. 1, 2 et 3 ainsi que l'annexe par votre serviteur [F. G.].

15 Hayek lui-même parvient aussi à cette conclusion dans son Einleitung [introduction] aux Erinnerungen [Notes and Recollections] de Ludwig von Mises (Stuttgart: G. Fischer, 1978).
"aujourd'hui, c'est certainement avec juste raison que dans le monde on considère Mises et ses disciples comme les représentants de l'école autrichienne, alors même qu'il ne représente qu'une des branches entre lesquelles l'enseignement de Menger s'est divisé […] entre ses disciples. L'"école autrichienne", aujourd'hui presque exclusivement active aux Etats-Unis, est au fond une école de Mises, qui remonte aux premiers apports de Böhm-Bawerk." pp. XIV-XV.

16 Aux Etats-Unis, le mot "liberal" désigne la même chose que ce qui passe pour "démocrate-social" en Europe. Des libéraux comme Mises et Rothbard ont donc choisi l'expression "libertarien" (libertarian) pour dénommer leur position.

17 Cf. aussi Ralph Raico, "The Austrian School and Classical Liberalism", Advances in Austrian Economics, Vol. 2A, 1995.

18 Cf. aussi Murray N. Rothbard, For A New Liberty (New York: McMillan, 1978), ch. 9.

19 Cf. Robert Batemarco, "GNP, PPR, and the Standard of Living", Review of Austrian Economics, Vol. 1, 1987.

20 A propos de la République Fédérale d'Allemagne, Mises avait affirmé :
"Les adeptes de la dernière variante de l'interventionnisme, celle de l'"économie sociale de marché" à l'allemande, soulignent qu'une économie de marché est le meilleur ordre économique pensable, et se prétendent fondamentalement hostiles à toute omnipotence gouvernementale, qui selon eux caractérise chacune des formes du socialisme. Mais tous ces avocats d'une "politique de la voie médiane" soulignent de même qu'ils sont naturellement hostiles au "Manchestérisme" et au "laissez-faire libéral". Il est nécessaire, disent-ils, que l'Etat intervienne sur les résultats du marché, toujours et partout où le "libre jeu des forces économiques" est censé produire des résultats "socialement indésirables". Dans la mesure où ils avancent cette affirmation, ils sous-entendent que ce serait au gouvernement de juger, dans tous les cas particuliers, si un fait économique particulier est ou non "socialement désirable", et en conséquence si les hommes de l'Etat doivent ou non intervenir sur les résultats du marché. Tous ces apôtres de l'interventionnisme ne reconnaissent pas qu'ainsi énoncé, leur programme implique d'admettre que l'Etat ait tous les pouvoirs dans toutes les situations économiques, et que la situation à laquelle il conduit finalement ne se distingue en rien de ce qu'on a appelé le "socialisme à la Hindenburg". Lorsque le gouvernement a le pouvoir légal de décider si certaines conditions économiques justifient ou non une intervention, alors plus aucun domaine d'action n'est laissé aux opérations du marché. Alors, ce ne sont plus les consommateurs qui décident finalement ce qui sera produit, par qui, où et comment en quelle quantité et avec quelle qualité : ce sont les hommes de l'Etat. Car aussitôt que les effets du marché libre s'écartent de ce que les autorités étatiques considèrent comme désirable, alors les hommes de l'Etat interviennent. Ce qui veut dire que le marché est libre, aussi longtemps qu'il fait ce que les hommes de l'Etat attendent de lui. Il est libre de faire ce que les autorités de l'Etat jugent bon qu'il fasse, mais pas ce qu'elles trouveraient "mauvais" ; et décider de ce qui est bon et de ce qui est mauvais revient aux hommes de l'Etat. De sorte que la théorie et la pratique de l'interventionnisme conduisent finalement à l'abandon de ce qui devait au départ les distinguer du socialisme à 100 % pour réintroduire, en leur lieu et place, les principes de la planification économique totalitaire." Human Action (Chicago : Henry Regnery, 3° éd. 1966), pp. 723-724 [citation traduite de l'allemand hoppien ; les amateurs pourront comparer avec l'anglais d'origine ou avec la traduction de Raoul Audouin dans L'Action humaine, Paris, PUF, 1985. Il existe aussi une première version en allemand de L'Action humaine, Nationalökonomie (1940), dont Human Action (1° éd. 1949) était la version en anglais revue et corrigée, et dont une édition plus récente est disponible chez Philosophia Verlag (F. G.)].

21 L'influence prépondérante de l'école historique sur les sciences économiques et sociales en Allemagne était due aux relations d'amitié étroite de Schmoller avec Friedrich Althoff, Directeur chargé des questions universitaires au Ministère des Cultes de l'Etat prussien entre 1882 et 1908.

22* Mises, dont la thèse (1912) portait, elle, sur la Théorie de la monnaie et du crédit, donnait (avec quel mépris) un exemple d'une "contribution à la science" économique produite par ce genre de "formation" avec le "doctorat d'économie" de Walter Rathenau, obtenu sur "Le Commerce de la bière en bouteille à Berlin en 1905". Abracadabras mathématiques en plus, la "science économique" contemporaine à la française (par exemple, Cotta) ne serait pas une indigne héritière de cet "idéal" schmollérien-là.
Ayant (cf. Bostaph, "The Methodological Debate", loc. cit.) expressément adopté la méthodologie empiriste de John Stuart Mill mais bien sûr sans une once de sa culture économique, Schmoller et son "école historique" donnent un exemple pur de ce que donne le pseudo-expérimentalisme chez des chercheurs en sciences sociales entièrement dépourvus du bagage théorique rationaliste… et de ce vers quoi tendrait l'ensemble de la science économique si elle était livrée aux seules influences du positivisme à la Popper-Friedman.
Pour une démonstration du fait que Popper, quoiqu'il ait écrit Misère de l'historicisme, est en fait un historiciste (et n'a pas de philosophie politique), cf. Anthony de Jasay, "The Twistable is not Testable: Reflexions (sic) on the Political Thought of Karl Popper" (Journal des Economistes, Volume 2, numéro 4, décembre 1991, pp. 499-512) ; traduit en français par votre serviteur sous le titre : "Le Réversible n'est pas testable : réflexions sur la pensée politique de Karl Popper". Contribution d'autant plus intéressante que Jasay est empiriste de formation, même s'il ne peut, pour sa part, s'empêcher de raisonner droit [F. G.].

23footnote ** Paris, Librairie de Médicis, 1947. Traduit de The Nature and Significance of Economic Science (New York : New York University Press, 1982).

24 L'idée fondamentale de la théorie de Mises, construite sur les suggestions de la "Currency School" britannique et de Knut Wicksell, est la suivante : les responsables des fluctuations conjoncturelles sont les hommes de l'Etat et notamment les banquiers centraux. Lorsque la banque centrale "crée" de la nouvelle monnaie, c'est-à-dire en fabrique à partir de rien, et la déverse dans l'économie par l'intermédiaire du marché des crédits, il se produit un abaissement du taux d'intérêt en-dessous du niveau de marché déterminé par de véritables efforts d'épargne. Un taux d'intérêt plus bas conduit à une activité d'investissement accrue et à une production plus étendue de biens de capital. Cela, c'est la phase d'expansion. Cependant, comme rien n'a changé dans les préférences réelles des agents économiques quant à la consommation et l'épargne, il doit se produire après un délai nécessaire une "correction" associée, dans laquelle le volume des investissements se révèle "trop grand", ce qui amène une liquidation systématique des investissements mal fondés. C'est la récession immanente qui suit chaque expansion. Si l'on veut éviter les variations de la conjonctures (ainsi que l'inflation), dit Mises, il faut que les hommes de l'Etat se retirent de la production de monnaie. Il faut abolir la banque centrale et le monopole étatique des billets de banque, et à la place doit apparaître un système concurrentiel avec des banques libres s'appuyant sur l'étalon-or. dans des travaux plus tardifs, Mises franchit [pour des raisons d'opportunité politique et non de théorie monétaire, F. G.] une étape supplémentaire dans ses conditions : pour empêcher totalement les fluctuations il était indispensable d'interdire toute production de billets de banque non couverte par l'or [parce qu'il n'avait pas compris que dans un système de banque libre c'est-à-dire sans banque centrale ni intervention de l'Etat, ces nouveaux billets ne peuvent être émis qu'en réponse à un accroissement de la demande de monnaie manuelle et, de ce fait, correspondent à un effort d'épargne réel. De sorte que la création de monnaie nouvelle n'est pas seulement compatible avec l'ajustement monétaire ; en fait, elle lui est nécessaire : cf. George Selgin : The Theory of Free Banking La Théorie de la banque libre F. G.]. Dans la mesure où les banques d'affaires agissent comme banques de dépôt et garantissent à leurs déposants un droit de retrait à tout moment (à la différence [complètement faux ! F. G.] de leur fonction de banques d'épargne et de prêts, où les déposants se voient imposer des délais de retrait), on doit [qui, "on" ? F. G.] leur imposer une obligation de réserve à 100%.
Comme étude standard d'un point de vue autrichien de la dépression économique de la fin des années vingt, cf. Murray N. Rothbard, America's Great Depression (Kansas City: Sheed & Ward, 1975).

25 Les cours de Hayek à la London School of Economics parurent l'année même sous le titre Prices and Production [Traduit en français en 1975 comme Prix et production, aujourd'hui disponible chez Agora, 1986].
Sur le succès spectaculaire de Hayek en Angleterre cf. Joseph A. Schumpeter, History of Economic Analysis (New York: Oxford University Press, 1954), pp. 1120 et suiv. [Histoire de l'analyse économique].

26 Le succès de la Théorie générale de Keynes, remarquait Schumpeter (ibid., p. 1121), n'était absolument pas comparable à celui de Hayek "parce que... on ne saurait douter que sa carrière triomphale, elle la devait au fait que sa démonstration exprimait certaines des préférences politiques les plus puissantes d'un grand nombre d'économistes modernes. Hayek, politiquement, nageait à contre-courant."
Pour une critique détaillée de l'oeuvre et de la personne de Keynes du point de vue autrichien cf. Hans-Hermann Hoppe, "The Misesian Case Against Keynes" [ch. 5 de The Economics and Ethics of Private Property] et Murray N. Rothbard, "Keynes, the Man", in: Mark Skousen (ed.), Dissent on Keynes (New York : Präger, 1992).

27 D'autres membres du Cercle de Vienne étaient Otto Neurath, Rudolph Carnap, Carl G. Hempel, Herbert Feigl, Victor Kraft, Fritz Waismann et Gustav Bergmann. Ludwig Wittgenstein et Karl Popper appartenaient à son champ d'influence élargi.

28 Cf. là-dessus aussi Murray N. Rothbard, "Praxeology: The Methodology of Austrian Economics", in: Edwin Dolan, ed., The Foundations of Modern Austrian Economics (Kansas City: Sheed and Ward, 1976); Hans-Hermann Hoppe, Economic Science and the Austrian Method (Auburn, Al.: Ludwig von Mises Institute, 1994).

29 Le caractère absolument vain de l'économie mathématique ne peut être dissimulé et demeurer à l'écart de la conscience publique que parce que le monde de l'enseignement et de la recherche dans l'ensemble des pays occidentaux est largement étatisé (financé par l'impôt), et que cela dispense entièrement la plus grande part de ce qu'on appelle la "recherche scientifique" de toute de sa justification pratique. (Bien au contraire, on a des raisons de supposer que si l'économie mathématique est entretenue de la sorte par les hommes de l'Etat, c'est précisément parce qu'elle n'a absolument aucune portée.)
Pour un jugement comparable sur la "recherche scientifique" dans le domaine mathématique, cf. Friedrich Kambartel, Erfahrung und Struktur (Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1968), ch. 6, partic. les pp. 236-42.

30 Dans le meilleur des cas, ces études consistent à réaffirmer les vieilles vérités fondamentales par des moyens inappropriés d'une certaine manière comme si on "prouvait" à nouveau le Théorème de Pythagore par des moyens empiriques, en faisant des mesures de longueur et d'angle. Et dans le pire des cas elles consistent à "réfuter" ces anciennes vérités fondamentales par des moyens empiriques en fait inopérants et à "découvrir" sans arrêt des théories "nouvelles", "jamais vues" et ce, d'autant plus qu'on est moins familier de l'histoire de la pensée économique des Classiques.
[en d'autres termes, les pseudo-expérimentalistes passent leur temps à "prouver" statistiquement que deux et deux font quatre mais, comme leurs moyens de preuve sont par essence inadéquats (et comme ils vivent d'argent volé), il leur arrive aussi forcément de "prouver", à l'occasion, que cela fait cinq (du moins, "dans les conditions de l'expérience") et c'est en cela que consiste l'essentiel de leurs "contributions originales" à la science économique (F. G.]].

La recherche économique [pseudo-]expérimentale est elle aussi largement financée par l'impôt et n'est soumise à aucune contrainte de justification pratique, et elle est également, pour les mêmes raisons, largement dépourvue de toute valeur et utilité. L'intérêt que les hommes de l'Etat trouvent à soutenir la recherche économique [pseudo]expérimentale se trouve plutôt dans le fait qu'elle seule, du fait de ses partis pris méthodologiques, se prête à la légitimation de l'intervention étatique en tant que telle quelle qu'elle puisse être. L'interventionnisme étatique comme mise en application de la recherche sociale empirique, et la science comme technique de l'intervention au coup par coup dans la société !

31 Cf. Thomas Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions (Chicago : University of Chicago Press, 1962) [Die Struktur wissenschaftlicher Revolutionen (Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1967) ; La Structure des révolutions scientifiques (Paris, Flammarion, 1983)].

32 Du côté autrichien cela s'est d'abord produit en 1976 avec la fondation du Journal of Libertarian Studies. An Interdisciplinary Review, et en 1987 est apparu entre autres la Review of Austrian Economics. Le fondateur et le rédacteur en chef des deux périodiques était Murray Rothbard.

33footnote * Comme meilleur témoin cf. le chef de l'école monétariste Milton Friedman dans "The Resource Cost of Irredeemable Paper Money", Journal of Political Economy (1986). Dans cet article, Friedman n'échappe pas à l'aveu que l'ensemble de ses prédictions sur les avantages d'un système de monnaies-papier nationales non convertibles et de taux de change flottants (notamment comparé avec un étalon-or classique) au vu des expériences accumulées depuis 1971 avec la mise en oeuvre des idées monétaristes se sont révélées complètement erronées. Friedman n'admet à ce propos que son embarras. Il n'envisage pas de reconnaître que les partisans d'un étalon-or comme Menger, Böhm-Bawerk, Mises et Rothbard avaient eu raison contre lui, ni qu'il pourrait bien y avoir quelque chose qui ne va pas dans la méthode de recherche positiviste qu'il propage depuis le début de sa carrière.
Cf. aussi Hans-Hermann Hoppe, "How is Fiat Money Possible? or: The Devolution of Money and Credit", Review of Austrian Economics, Vol. 7, no. 2, 1994.

34 Cf. pour une critique de ces courants Murray N. Rothbard, "The Hermeneutical Invasion of Philosophy and Economics", Review of Austrian Economics, Vol. 3, 1989; idem, "Intimidation by Rhetoric", Review of Austrian Economics, Vol. 9, no. 1, 1996 ; Hans-Hermann Hoppe, "In Defense of Extreme Rationalism: Thoughts on Donald McCloskey's 'The Rhetoric of Economics'", Review of Austrian Economics, Vol. 3, 1989.

35* Pour des développements sur le fait que la capacité d'apprendre des êtres pensants rend l'approche expérimentale inapplicable à leur conduite, cf. Hans-Hermann Hoppe, "Austrian Rationalism in the Age of the Decline of Positivism", chapitre 11 de : The Economics and Ethics of Private Property. Traduit par votre serviteur sous le titre : "Le Rationalisme autrichien à l'ère du déclin du positivisme". Il y dit notamment :
"Le principe de régularité peut et même doit être supposé dans le domaine des objets naturels, c'est-à-dire pour des phénomènes qui ne sont pas constitués de notre propre connaissance ni d'actions manifestant cette connaissance (dans ce domaine, la question de savoir s'il existe des lois constantes à partir desquelles il est possible de faire des prévisions ex ante est positivement déterminée indépendamment de l'expérience, et les facteurs empiriques ne jouent de rôle que pour déterminer quelles sont les variables concrètes qui ont, ou n'ont pas, un lien de cause à effet avec quelles autres variables). En ce qui concerne la connaissance et l'action, en revanche, le principe de régularité ne peut pas être valide (dans ce domaine, la question de savoir s'il existe ou non des constantes est en elle-même empirique par nature et ne peut être déterminée pour une variable donnée que sur la base de l'expérience passée, c'est-à-dire ex post). Et tout cela, qui est une connaissance authentique de quelque chose de réel, peut être connu apodictiquement ; de sorte que c'est le dualisme méthodologique, et non le monisme que l'on doit accepter et admettre comme absolument vrai a priori."

36 Cf. Ludwig von Mises, Human Action (Chicago : H. Regnery, 1966) [L'Action humaine], ch. 4.

37 Même le proverbial âne de Buridan, qui ne peut pas se décider entre deux tas de foin d'égale grosseur et également éloignés de lui, ne démontre en rien son indifférence vis-à-vis des deux tas. Au contraire, son comportement donne l'impression qu'il préfère s'obstiner à rester sur place et à mourir de faim plutôt que de choisir soit l'un soit l'autre des tas de foin. Cf. aussi Murray N. Rothbard, Man, Economy, and State (Auburn, Al.: Ludwig von Mises Institute, 1993), pp. 260-272.

38 Imaginer une prévision parfaite implique qu'on ne se trompe jamais (qu'on n'est jamais déçu). Mais quand on ne peut pas se tromper, alors on ne peut à proprement parler pas non plus avoir jamais eu raison (recevoir une confirmation). Il faut au contraire supposer que l'on sait toujours déjà ce qu'on saura jamais un jour. Dès lors que la connaissance et l'information seraient parfaites, il n'existerait plus rien que l'on puisse apprendre. Cependant, s'il n'y avait plus rien à apprendre, alors on ne pourrait même plus expliquer pourquoi au juste des personnes qui agissent (à la différence d'un ordinateur) seraient dotées d'une conscience, et souhaiteraient apprendre pour savoir quoi que ce soit, et on a tout autant de peine à expliquer que des personnes doivent jamais s'engager dans des échanges verbaux (la communication, l'argumentation). Car lorsque tout le monde sait déjà tout, cela n'a tout simplement plus aucun sens de souhaiter se parler les uns aux autres. Cf. aussi Hans-Hermann Hoppe, "On Certainty and Uncertainty Or How Rational Can Our Expectations Be?"

39 Cf. à ce sujet Ludwig von Mises, Human Action, pp. 200-211; Lionel Robbins, The Nature and Significance of Economic Science (New York: New York University Press, 1984), pp. 32-38.